Un jour je suis allé en Angleterre. A Folkstone.
Un voyage linguistique à base de tennis et de cours d’anglais.
Et puis aussi de filles, si possible.
Vous vous souvenez ? Il fallait aller vite pour se faire des amis, et surtout ne pas se tromper.
Dans le train, puis dans le bateau, choisir le bon leader, le bon groupe. Prendre la bonne attitude, genre comment je suis cool, même pas peur de me retrouver quinze jours a long way from ma maman à bouffer de la gelée et à essayer enfin de comprendre la différence entre to lay et to lie, et surtout au passé. Il fallait avoir l’air cool. Rapidement les groupes se formaient et votre séjour prenait une direction. Si vous aviez choisi la bande des voyous, vous deveniez naturellement un voyou et vous reveniez avec un album des Smiths vendu sous le manteau dans une impasse. Avec un peu d’audace, vous reveniez aussi avec un tee-shirt Billy Idol et une boucle d’oreille dans l’oreille. Bon, du haut de vos quinze ans, vous atterrissiez bien vite au retour, mais au fond de vous-même, vous étiez devenu quelqu’un d’autre... Someone else.
Si vous aviez choisi la bande des sportifs, vous jouiez au tennis sur gazon pendant des heures et buviez des milk-shake à la banane avant d’aller voir A view to a kill en VO sans rien comprendre mais en essayant de rouler un palot à la jeune étudiante italienne de chez EF (quand j’y pense, un organisme linguistique au nom célèbre...). Si vous aviez choisi les studieux... Non, personne ne choisissait les studieux. Bon, ben moi, j’étais un peu pote avec tout le monde et personne, mais surtout avec le prof. Le gars avait 17 ans, c’était un très jeune prof de tennis qui était prof surtout parce qu’il était classé et qu’il connaissait le dirlo du groupe. Moi j’avais 15 ans, j’étais le plus vieux des élèves. Il faut que je vous dise que le prof est devenu mon meilleur pote... A l’époque, c’était pas con d’être copain avec le prof, parce qu’il avait des copines de prof de 17 ans, des activités de prof de 17 ans, des trucs à m’apprendre d’un prof de 17 ans... Les meilleures vacances de ma vie (avec la fois où j’étais barman à l’Ile de Ré et la fois où je suis allé quinze jours à Bandol écrire un roman et la fois où je suis allé à New-York avec une experte en linge de maison ;-)). Bon, pourquoi je vous raconte tout ça ? Ah oui. Parce qu’il me revenait un épisode qui m’a marqué et continue de m’énerver aujourd’hui. Un jour que j’allais me restaurer avec deux nouveaux amis linguistiques, nous choisissions fort à propos de nous gaver dans un Burger King. Nous commandâmes notre repas et nous assîmes sur quelques sièges de couleur vive en plastique.
Soudain, alors que nous n’étions que trois jeunes français inoffensifs, assis là à dévorer du burger, deux espèces de gros moustachus très costauds vinrent se tenir debout à nos côtés. Je me souviens que l’un des deux me fit immédiatement penser à Freddy Mercury. Ils étaient frisés et moulés dans leurs pantalons blancs, comme les little brother dans Orange mécanique. En aussi méchant. L’un d’entre eux, sans me parler, se mit en tête de me taper, ce qu’il fit. Une petite béquille bien douloureuse, comme ça, hop, entre deux tranches de tomate. Nous rouspétions avec force mais, visiblement, nous ne faisions pas le poids. J’avoue qu'à ce moment là je n'en menais pas large et que mes camarades non plus. Personne ne bougeait son petit doigt dans le Burger King, surtout pas les employés qui
ne voyaient rien. Nos méchants agresseurs agissaient en douce, frappant tout en souriant, limite à faire semblant de plaisanter. Au bout de trois béquilles et d'une tape fort désagréable sur l'arrière tête (vous savez, ça fait pas mal mais ça humilie), je me suis dit que là fallait agir parce qu'il n'y avait aucune raison mathématique que ça s'améliore en l'état. Tel Tom Cruise, je soufflai à mes amis qu'il nous fallait se dégager de là, courir à toute vitesse chacun de son côté à fin de les dégrouper, profiter de leurs quelques secondes d'hésitation et se retrouver le soir à la salle de jeux en parfaite santé. Mes potes d'infortune comprirent grosso merdo le projet, que j'exprimais de cette façon "on les pousse, on court, chacun sa peau. On se retrouve au pacman !".
Profitant d'une seconde de relâche due à l'arrivée de quelques jeunes anglaises, mes deux collègues détalèrent plus vite que des lapins, sans avoir à réaliser la moindre esquisse de geste brusque à l'égard des bandits. De mon côté, tétanisé et le coeur à 300 miles/hour, je poussai le vil marlou de tout mon faible poids, me dégageant à la vitesse de l'éclair, franchissant la porte du Burger King tel Tim Robins à la sortie des égoûts de Shawshank. Les deux gars se mirent à ma poursuite. Mon plan était bon, mais je n'avais pas prévu qu'ils resteraient groupés, encore moins derrière moi. Mais comme le dit la fable de La Fontaine, "quand t'es petit tu te faufiles mieux que quand t'es grand" (in. "Le puceron et le mamouth à Berverly Hills", opus IV), et je parvins à m'en sortir en virevoltant comme un cabri parmi les badauds et les touristes, me cachant dans un magazin de disque, observant, à travers la vitrine, mes poursuivants se perdre dans les méandres de leur violente stupidité.
C'est depuis ce jour que je rêve de devenir un cow-boy ; c'est aussi à cause de cet événement que je me suis inscrit à tous les arts martiaux du monde, devenant ceinture verte en karaté, hapkido et chant... Mais jamais, malheureusement, je ne pourrai revenir en arrière, me venger, me lever et leur faire bouffer mon tee-shirt de Billy Idol par le nez (et je suis poli !). C'est foutu...
On en a tous au moins un d'épisode humiliant (genre "calbote" : petite tape derriere la nuque).
Moi, c'était pas Londres mais Casa, 15 ans, cocard, un abonnement au cours de boxe (8 mois et demi) et une bonne dose de haine ravalée... j'adhère: c'est foutu!
Rédigé par : mikiane | mar. 12 juil 2005 à 20:51
Hey! Les Smiths c'est cool !
Rédigé par : Folie Privée | mar. 12 juil 2005 à 21:41
C'est cool les annonces Google. Tu mets "Freddy Mercury" dans ta note et hop tu as une pub pour BlogGay ! Et si tu écris Monica Bellucci, son adresse apparaît ?
:)
Rédigé par : Turquois | mar. 12 juil 2005 à 22:23
les petites anglaises... les queens de la déniaiserie...
Rédigé par : Mry | mar. 12 juil 2005 à 23:05
Non Turquois, des pubs pour les chat et blog gay, il y en a toujours eu chez notre ami Vinvin... Pourquoi ? Mystère !
Rédigé par : Damdam | mar. 12 juil 2005 à 23:22
Tu possèdes la technique de l'anguille et c'est déjà beaucoup. Pour le reste, il y a toujours un plus fort, l'intelligence est de savoir quand commencer à courir.
Rédigé par : Fred de Mai | mar. 12 juil 2005 à 23:48
Même expérience, beaucoup plus tôt (vers 7 ans), beaucoup plus long. Résultat beaucoup plus gros (d'où mon pseudo), beaucoup plus long. Mais même conclusion: on ne peut pas revenir en arrière et ça reste toujours un petit coin de chianterie à l'arrière du crâne.
Et mon Angleterre, 10 ans plus tard, violente et cailleraine, n'y a rien changé.
Rédigé par : Asocial | mer. 13 juil 2005 à 00:28
tu t'es fais poursuivre par Freddy Mercury parceque t'avais un t-shirt sport Billy?
t'as une vie de ouf!
Rédigé par : Largentula | mer. 13 juil 2005 à 00:56
Séjour linguistique en angleterre, le tennis, le milk-shake et les nénettes de EF, ça me rappelle à moi aussi quelques souvenirs de jeunesse (mais à Bath pour ma part et sans les béquilles) :-)
Rédigé par : Lightman | mer. 13 juil 2005 à 07:39
Tout pareil pour l'Angleterre, le train, le bateau et les filles (la première...)...
Maintenant, mon Freddy Mercury à moi s'appelait Jean-Claude et se prenait pour Dick Rivers... Jean-Claude et ses drougs rockabilly - une autre époque : les bads boys portaient tiags, cuirs à frange et banane - ont trouvé rigolo de chahuter le gamin de 13 ans que j'étais un jour à la foire du Trone... parfois, je pense à Jean-Claude que j'imagine gras, beauf et cocu... j'imagine même qu'il vienne à me croiser dans la rue et que je lui pète les dents de devant...
Sinon, l'air est léger ce matin et je vais écouter les Smiths... I am the son, I'am the heir....
Rédigé par : Frederic | mer. 13 juil 2005 à 08:43
De temps en temps, j'ai mon bras droit qui se met à s'agiter inconsciemment.
C'est involontaire, presque Parkinsionien, il fait des grands moulinets et mes doigts se replient dans ma paume de main.
Et ça tourne quelques tours le temps que je m'en aperçoive.
Je crois que c'est une conséquence de toutes les mandales que je n'ai jamais mises par frousse (ou par intelligence, ça dépend).
Mais bon, j'ai développé mes capacités au lancer du marteau.
Quand on grandit, il faut s'adapter.
Rédigé par : barnabé | mer. 13 juil 2005 à 09:12
Héhéhé...
Les moustachus, faut toujours se méfier.
Rédigé par : cohen le barbare | mer. 13 juil 2005 à 11:11
Excellente histoire Cyrille. Bravo à toi.
Rédigé par : Vinvin | mer. 13 juil 2005 à 11:29
Merci, merci...
Rédigé par : Damdam | mer. 13 juil 2005 à 11:41
Bon, ça commence à bien faire, ces souvenirs de types qui se faisaient péter la gueule par des plus grands, des plus costauds qu'eux. Et tous ces commentaires amicaux d'anciens tabassés, d'anciens humiliés... Assez ! Merde, quoi !
Car enfin, qui dira le malaise existentiel des ados grands et forts, des tabasseurs et des cogneurs ? Qui ? Moi, lorsque j'étais jeune, ben j'étais plus fort que les autres et avec mes potes, on allait régulièrement s'en prendre à des plus petits que nous, juste pour le fun. Ton histoire, Vinvin, ben ça aurait pu être nous - ces gars en pantalons moulants. Dès qu'on avait cinq minutes, ben on dépouillait ou on tabassait. Et on rigolait bien, hein ?
Mais au final, ben on était un peu triste quand même et cette violence, c'était surtout l'expression d'un malaise et d'une difficulté d'être que les petits que l'on tabassait ne comprenaient pas, entièrement focalisés sur leur propre souffrance (enfin, c'est ce que le psy de la prison m'a expliqué).
Le tabassé, quelque part, ben y profite de son état de victime pour attirer l'attention des adultes qui cherchent à le réconforter. Le tabasseur, lui, personne ne se demande ce qu'il ressent, ce qu'il éprouve.
Alors forcément, y continue à tabasser pendant que l'autre, le tabassé, ben y se repose sur un système entièrement organisé autour de lui. Et ensuite, il grandit, il raconte ses souvenirs et tout le monde le plaint. Le tabasseur, lui, ben y reste seul. Y tabasse bien encore de temps en temps, mais il sait bien que tout ça est un peu vain (un peu vain-vain, même) et le coeur n'y est plus vraiment.
Putain, Vinvin, si je te vois j'te fais bouffer ton linge de maison !
Rédigé par : Fredy | mer. 13 juil 2005 à 12:45
Je compatis, Freddy, d'autant que le tabassé, pris assez jeune, il vire parfois teigne hargneuse et vicelarde, et le tabasseur, vu qu'il est grand et fort, lorsqu'il se fait replacer les roustons à coup de pupitre d'école, il peut juste souffrir en silence, vu qu'il est grand et fort.
En fait, je compatis pour tous les tabasseurs qui ont eu à faire à un ex-tabassé hargneux et vicelard... mais aussi petit et maigre qu'avant.
Rédigé par : Asocial | ven. 15 juil 2005 à 03:35